Vocal Jazz Summit - Mayence 2005

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Introduction

J'y étais !!

Quel magnifique festival que ce premier VOCAL JAZZ SUMMIT. Organisé par Matthias Becker, chanteur, pédagogue et propriétaire de "Musikal Spezial", le magasin mine d'or des partitions polyphoniques jazz. Il est aussi une figure incontournable du jazz choral allemand et peut compter sur de nombreux amis et relations dans le monde entier. Une telle initiative venant de sa part n'est donc pas inattendue, mais encore fallait-il le faire ! Le projet était certes ambitieux mais la réussite fut au rendez-vous, ce qui a été souligné tous les soirs par chacun des groupes.

Le principe du festival est d'offrir des spectacles du plus haut niveau sur 4 soirées, avec dans la journée, des ateliers et des rencontres avec les membres des groupes prestigieux.


Soirée 1

Vokal Total

La première soirée s'ouvre avec Vokal Total, le quartet vocal de Matthias Becker accompagné par un trio. C'est l'entame du Festival, nos oreilles s'habituent à la sonorisation (de bonne facture) et à la Phoenix Hälle, belle salle de 1800 places mais à l'acoustique un peu trop réverbérante pour cette amplification. La prestation est plutôt réussie, avec des arrangements agréables, une bonne énergie, mais certaines harmonies manquent d'évidence (ou se cherchent un peu). L'intervention de Darmon Meader (New York Voices), venu agrémenter le programme de quelques chorus au saxophone et surtout à la voix réhausse soudain l'intérêt de la prestation … et l'on se met à rêver aux soirées et aux groupes suivants !

The Real Group

Ensuite, le Real Group, but avoué de mon voyage. Bien que pas totalement pleine, la salle, remplie de fondu(e)s de vocal, s'excite déjà. Beaucoup sont venus spécialement pour eux, étant donné que leur présence se fait rare en dehors de la Scandinavie, des USA et du Japon/Corée. Et là, Mesdames et Messieurs, le CHOC. On entre dans une autre dimension. Les 5 suédois attaquent avec "Prime Time Blues", extrait du dernier album "In the middle of life". Tout est là, la richesse harmonique, le groove (ou le swing selon l'écoute), les plans sonores, la beauté vocale et la sincérité dans l'expression, la justesse qui rend hommage aux harmonies, des plus simples aux plus complexes, la profondeur de la basse et la finesse de la percussion vocale. Mes amis, c'est parti pour 1 heure 30 d'un voyage captivant où chaque nouveau morceau est un pur délice (et également une inexorable avancée vers la fin du spectacle). Parmi les titres interprétés, beaucoup sont tirés du dernier album, mais le Real Group nous livre quelques grands classiques comme "It don't mean a thing", toujours à une vitesse incroyable (mais en toute décontraction), et également un titre humoristique du savant fou qui manipule les voix. Chaque morceau fait l'objet d'une présentation succincte, explicative, poétique ou humoristique.

Une rapide analyse de leur prestation par rapport à tous les autres groupes montre que seul The Real Group chante finalement dans une nuance très modérée, leur permettant de rester toujours dans une plage optimale de vocalité, ce qui profite évidemment à la justesse, à l'homogénéité et à la virtuosité. Mais attention, il y a quand même du son, et même du volume sonore, mais toujours dans la mesure et la distinction. A ma connaissance, un autre groupe vocal fameux utilise cette approche, bien que dans des styles fort différents, les très britanniques King's Singers.

La soirée se termine par une magnifique séance de dédicaces avec les Real Group (j'ai alors la ferveur d'un collégien) et aussi la chance de discuter un long moment avec Anders Edenroth et Katarina Henryson sur le thème central : quand venez-vous chanter en France ?

 



votre serviteur avec Katarina Henryson du Real Group ....

Soirée 2

La seconde soirée accueille 3 groupes a cappella.

Montezuma's Revenge

Les 5 acolytes de Montezuma's Revenge viennent de Hollande où ils enchaînent dates sur dates, avec un nouveau spectacles tous les deux ans.
Les premières impressions font craindre une sorte de Boy's Band, ça chante et ça danse (un peu pataud), mais contrairement aux sus-cités, ici ça ne fait pas semblant de chanter ! Et plutôt bien !
De plus, ce sera le seul groupe sur tout le Festival a présenter une vraie mise en scène, dans un spectacle construit et enchaîné de A à Z sans intermède bavard. Les mouvements sont parfois athlétiques, il y a de la magie, des marionnettes (à l'humour un peu trash). Le style musical est franchement de la "pop vocale" et pas du jazz, mais l'efficacité dans le style est bien là et l'on passe un bon moment.

Rajaton

Suit le groupe Rajaton de Finlande, qui jouissent de la très forte considération des membres du Real Group : une référence, donc. Les 3 hommes et 3 femmes imposent effectivement une fort belle maîtrise vocale au service d'univers très personnels (mais toujours pas jazz). Le style s'inspire du folk tendance scandinave, (textes en Finnois !), dans un esprit teinté de Björk. Difficile à décrire donc, mais l'indéniable poésie des ambiances et l'évident talent forment un fort bel attelage... Mais de là à détrôner le Real Group, non !!!

M-Pact

Pour terminer cette longue soirée, M-PACT, un sextet vocal masculin américain. Pas de mise en scène particulière mais l'ensemble du plateau est utilisé. La palette des styles musicaux est large, R&B, Blues, Jazz et surtout Pop.
Deux particularités dans le groupe : de grandes aptitudes à la percussion vocale, avec deux prétendant au trône qui se sont affrontés dans une joute percussive haletante et éblouissante. C'est dingue ce que l'on peut faire avec un vulgaire SM58 !! L'autre particularité vient de l'un des chanteurs, un black fin comme une liane, avec une voix étonnante couvrant les tessitures de ténor, alto et soprano. Les contre-uts ne lui font pas peur. Wah ! L'ensemble est très bien en place, soutenu par une énergie sans faille.


Soirée 3

La troisième soirée : le temps des vedettes

Le troisième soir s'annonce différent des deux précédents. Les voitures convergent nombreuses vers la Halle, il n'y a plus une place de parking à 1 km à la ronde. Ce soir, on entre dans la cour des vedettes internationales, avec New York Voice et Take 6. Une belle affiche que j'ai déjà eu la chance de voir en juillet 1990 au Festival de Jazz de Vienne (du temps où Vienne programmait couramment des groupes vocaux). Mais parlons du présent. La salle est bondée, l'ambiance est surchauffée (à tous les sens du terme).

New York Voices

Les New York Voices entament la soirée accompagnés d'un solide trio. Le contrebassiste est de Mayence, il recueille tous les encouragements naturellement dus au "local de l'étape". Les 4 chanteurs (2 + 2) semblent littéralement alimentés en 400 V, ils dégagent tous ensemble une impressionnante énergie. Le programme reprend pas mal d'anciens tubes issus du tout premier et du dernier disque, de Baroque Samba à Sing Sing Sing. Ca déménage sévèrement, même si la sonorisation a du mal à suivre ; est-ce que ça vient de notre position dans la salle, plus éloignée que les soirées précédents (la salle est très longue), ou de la présence du trio qui vient modifier l'écoute ? Quoi qu'il en soit, on perçoit une équipe de musiciens et chanteurs rompus à la scène. Le sieur Darmon Meader fait à nouveau, pour la joie de tous, une démonstration de son talent instrumental comme vocal sur des scats vertigineux.

Les introductions sont toujours très travaillées, et les thèmes finement arrangés. Plusieurs titres sont a cappella, et une belle surprise nous attend lorsque les Montezuma's Revenge se présentent sur scène pour interpréter un titre en commun avec NY Voices, a cappella.

NY voices avec Montezuma's Revenge

Take 6

Pour continuer la soirée, les Take 6 font leur entrée sous les vivats du public, tout entier dévoué à leur cause. Le style Take 6 est bien là, fait d'une redoutable complexité harmonique et rythmique, d'un très gros groove et de voix superbement mélangées. Seul regret, mais de taille, les épisodes chantés sont rares, rendus isolés par des intermèdes interminables, sans intérêt et qui ont la seule vertu de susciter une envie encore plus grande de les entendre chanter plutôt que bavasser. Cela gâche littéralement la fluidité de la soirée et laisse un goût plus que mitigé à la prestation. Etrange approche du spectacle de la part de ces professionnels de la scène, d'autant que les 2 précédentes occasions où j'avais eu la chance de les écouter, cela ne s'était pas produit (mis à part l'habituel message sur notre Sauveur qui guide nos pas de l'autre côté de la montagne …). La comparaison de ce point de vue avec tous les autres groupes est cruelle !

Attention, je n'ai pas dit qu'ils chantaient mal, non de ce côté là, tout va bien, même très bien, mais comme pour beaucoup de chanteurs, le mieux c'est quand ils chantent.

A l'occasion d'un hommage à l'immense arrangeur Gene Puerling qui a fait l'honneur de parrainer le festival, il reprennent un des titres de "Christmas" des Singers Unlimited.


Workshops

Travail en ateliers

N'allez pas croire que votre serviteur s'est contenté de se la couler douce à un festival de rêve, ne sortant de grasses matinées et d'après-midi de farniente uniquement le soir pour assister à des spectacles de première classe. Non, non. La journée est également bien remplie et studieuse avec ces workshops. En fait, plusieurs groupes vocaux constitués (du quartet à la chorale jazz de 30 personnes) (voir la liste ici se sont préalablement inscrits pour travailler avec ces professionnels du jazz vocal. On retrouve alors Peder karlsson (Real Group), Kim Nazarian et Darmon Meader (New York Voices), Jens Johansen (Vocal Line), Andrea Figallo (basse vocale des Flying Pickets ), Rhiannon (ex membre entre autres du projet Circle Songs de Bobby McFerrin), Reinette von Zijtveld (Vokal Total), etc.

Chaque groupe a préparé plusieurs pièces et passe 2 heures avec un professeur, sous l'œil et l'oreille attentives d'un public passionné. Chacun aborde les différents groupes avec des approches différentes, travail sur la justesse harmonique via l'écoute anticipée des accords et la conscience de la position de chacun dans l'harmonie, amélioration du swing par un choix judicieux d'onomatopées, mise en valeur des contrastes en jouant sur la rythmique et la dynamique, affinage des plans sonores, informations spécifiques sur la fonction de "bass singer", etc. Bref, des instants passionnants, la découverte des personnalités de ces chanteurs et chefs, une vue (partielle mais riche) des ressources vocales en Europe, et une mine d'information pour tout chef de chœur.




Quelques photos de Mayence prises pendant la matinée non studieuse ...

La place principale

Cathédrale Le cloitre


Rencontres avec les artistes

Take 6

Cerise sur le gâteau, pour terminer les rudes journées de workshops avant les rendez-vous du soir, des moments d'échange et de rencontre avec les artistes. La plus attendue et la plus réussie, celle avec les Take 6. Un amphithéâtre plein de sommités du vocal mondial, sur scène bien sûr, mais aussi dans la salle ! Les Take 6 expliquent comment ils travaillent, arrangent et apprennent leurs morceaux. La création des mélodies et des paroles est relativement collective, chacun pouvant apporter, présenter ou suggérer des idées. Pour les arrangements, certains membres sont plus à l'aise et après des phases d'essais au clavier, proposent des enchaînements harmoniques. Les voix sont ensuite distribuées et transmises par apprentissage oral. A ce stade, chaque chanteur peut, dans une certaine limite proposer et interagir avec la ligne musicale, en l'enrichissant ou la modifiant légèrement. C'est une interaction permanente. Aucune musique n'est transcrite à aucun moment.

Pour illustrer le propos, ils demandent à l'assistance de proposer une petite phrase musicale avec quelques paroles. Puis, pendant le temps de la discussion avec le reste du groupe, deux membres de Take 6 prennent du temps pour arranger harmoniser et arranger la phrase, après quoi, effectivement, chaque chanteur (du ténor à la basse) apprennent oralement leur ligne. Pour la petite histoire, la mélodie fut proposée par notre ami Antoine Dessen* (le Frenchie de Nantes) .. et acceptée, tandis que Peder Karlsson, du Real Group, offrit lui les paroles (Mathias, we love you !). Inutile de dire que cette petite phrase anodine, une fois appropriée par les Take 6 … possède la "patte" Take 6. Ensuite, plusieurs volontaires vinrent apprendre chaque fragment avant de le chanter sextuor par sextuor. Là aussi, ça sonnait (bon, avec la basse des Flying Pickets, le baryton des Swingle Singers, le ténor du Real Group, pas très étonnant que cela sonne bien !).

* Antoine Dessen qui a par ailleurs un joli palmarès de relevé de partitions de Take 6 (puisqu'elles ne sont pas écrites, des volontaires passionnés proposent des transcriptions ensuite disponible sur le site web de Take 6)

Autres rencontres à signaler, parmi les quelques Français identifiés venus se baigner dans cette marmite de potion magique, Thierry Lalo (Voices Messengers), Antoine Dessen (Vocabilis), et quelques représentants de la force Grenobloise, avec Est-West et bien sûr Charlatan Transfer.

rencontre avec Take 6

une chouette équipe B !

Antoine Dessen parmi les siens ?

La fin du festival

Plusieurs choeurs de jazz

La dernière soirée était consacrée à des groupes vocaux comportant entre 25 et 30 chanteurs non professionnels. On y retrouve Vocal Line, 28 chanteurs mixtes dont une majorité de chanteuses, dirigé par Jens Johansen qui assurait des séances de travail dans le workshop (et futur hôte du festival AAVF en mai 2006.

Autre présent, Vivid Voices, là aussi une trentaine de voix a cappella sous la direction de Anne Kohler.

Enfin, le Jazzchor Freiburg, dirigé par Bertrand Gröger.

Je n'ai malheureusement pas pu assister à cette soirée probablement très instructive, en particulier pour le chef que je suis, car la pratique du jazz polyphonique à un par voix n'est pas la même que celle avec 3, 5 ou 8 chanteurs par voix. Les photos semblent montrer une approche très festive du répertoire, ce qui représente toujours un défi quand, en plus de chanter juste, en rythme les bonnes paroles avec le bon phrasé, du style et de l'intelligence, il faut en plus se mouvoir dans un espace souvent réduit !!

Vocal Line

Vivid Voices Jazzchor Freiburg

En guise de conclusion

Quel beau moment que ce festival. Quelle magnifique initiative du Dr Becker, qui pour une première édition, a mis la barre très haut, aussi bien musicalement que par haut professionnalisme de l'organisation. Quelle chance avons-nous eu de voir (et d'entendre) ce qui se fait de mieux en vocal actuellement.

Clairement, nos voisins européens (allemand entre autres) sont nombreux à partager cette passion de la polyphonie jazz, que ce soit en petits ou en grands groupes, et ce avec une grande vitalité et une excellent qualité.

Est-ce qu'un tel événement serait possible en France ? Oui, car certaines structures sont capables d'organiser de telles manifestations. Mais le thème sera-t-il un jour le jazz vocal ? moins sûr car semblant être un créneau très (trop) pointu. Pourtant, avec une affiche du niveau de celle de Mayence, il y a de quoi déplacer des foules, car malgré ce qu'on dit, il y a énormément de gens qui chantent en France (et ne le revendiquent pas, paradoxe français), y compris du jazz, JAZZCHORAL est là pour témoigner, et sont évidemment de potentiels auditeurs : quand la qualité est là, le goût du public va au delà de la simple catégorisation des styles.

Alors, qui osera créer le "Vocal Jazz Summit - FRANCE" avec en vedette principale The Real Group - choix personnel ;)

Prenons nos agendas et bloquons des dates ... 2008, 2010 ?

François BESSAC
envoyé spécial, bénévole et volontaire
© 2005 - Jazz Choral




dernière mise à jour : 22/10/2005